mercredi 28 octobre 2009

Le petit pan de mur jaune / Marcel Proust


Dans cet extrait de À la recherche du temps perdu, Proust nous parle du pouvoir de la peinture et du pouvoir des mots, et du rapport étroit qui s'établit entre les deux. Car un livre peut être construit comme un tableau, avec ses abymes, ses symboles et ses trompes l'oeil.
Ces rapports entre les Arts nous servent à mieux lire le monde. L'oeuvre d'art (quelle soit picturale ou littéraire) nous révèle une vérité qui nous parait évidente tout en étant inexplicable, car ce vrai ne s'explique par aucune loi, aucune règle conventionnelle et établie.

"Un bon tableau nous désapprend la parole et nous réapprend à voir [...] mais ce qu'il nous montre nous "parle"[...] Du sensible à l'intelligible il y a émulation [...] L'oeil s'éduque par les mots- les noms des couleurs, une bonne palette de substantifs nous entraînent à mieux discriminer entre les tons. Les bons poètes nous exercent à mieux voir, et leurs mots pourtant sont aveugles. Un rouge coquelicot est incolore[…]"

Régis Debray dans Vie et mort de l'image

Par ce récit, Proust nous montre que l'art n'est pas simulacres et artifices, il y va de la vie et de bien plus. La grandeur de l'art est de saisir la réalité réelle, la vie la vraie, qui, sans l'art, resterait méconnue de tous. Car ce pouvoir révélatoire est inexplicable par la raison conventionnelle..

"Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et autant qu’il y a d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition"
Jeans Pavans dans Les Écarts d'une vision

Ce phénomène de révélation face à l'oeuvre tel que Proust nous le raconte, est également présent dans la littérature de Stendhal (et dont le syndrome réel en porte le nom)

"Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire. J'étais arrivé à ce point d'émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les beaux-arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j'avais un battement de cœur, ce qu'on appelle des nerfs à Berlin ; la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. Je me suis assis sur l'un des bancs de la place de Santa Croce ; j'ai relu avec délices ces vers de Foscolo, que j'avais dans mon portefeuille ; je n'en voyais pas les défauts : j'avais besoin de la voix d'un ami partageant mon émotion. »
Stendhal dans Rome, Naples, Florence

Chez Proust, Bergotte y laissera sa vie, et la vérité profonde du tableau l'arrachera du monde réel, car cette vérité appartient définitivement à une autre dimension.

L'expérience sensible est cette connexion qu'il existe entre l'oeuvre et le spectateur : cette réalité immatérielle, ce langage intrinsèque et propre à l'oeuvre d'art, qu'elle soit picturale ou littéraire.

"C'est ainsi que j'aurais dû écrire, disait-il. Il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse comme ce petit pan de mur jaune"

2 commentaires:

  1. Très juste tout ça... Est-ce un oubli (volontaire?), je ne vois pas la mention du nom de cette oeuvre et de son auteur...Rendons donc à Vermeer cette "Vue de Delft" ombilic de cette expérience sensible. Heureuse en tout cas de découvrir votre blog! Cordialement. sylvie

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  2. Autant pour moi pour l'oubli !!!
    merci de l'avoir remarqué !
    Proust n'aurait jamais écrit de si belles lignes, si Vermeer n'avait pas peint une si belle toile !

    (saviez-vous que cet épisode de Bergotte est inspiré de la vie de Proust, qui lui même a été envouté par ce tableau lorsqu'il le vit en vrai pour la première fois !?)

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